Ma mère est morte il y a vingt-trois ans ce mois-ci.
D’elle je n’ai conservé que trois choses : un bol avec des perroquets dessinés dessus, une édition club de « Pour qui sonne le glas » et un « Docteur Jivago » si fragile que je ne pourrais l’ouvrir sans le voir finir poussière entre mes doigts.
Il y a quelques semaines cette diapositive, collée au fond d’une enveloppe, a refait surface. Je connais cette image. Elle date de 1983. Ou de 1984. Je connais cette image et je la date de ces années-là parce que ma mère aimait et portait souvent cette jupe.
1983. 1984. C’est le printemps. Ne me demandez pas pourquoi mais c’est le printemps. Ma mère est en vacances. Des vacances, elle en prenait si peu (pas d’argent et si peu d’amis). Cette année-là elle était partie avec quelqu’un. C’est ce quelqu’un, sans doute, qui l’a photographiée dans cette jupe qu’elle portait si souvent, sur cette jetée dont nous ne saurons rien, retenant son chapeau de paille, prenant la pose, coquette comme elle l’était toujours.
Je sais peu de choses de ce voyage. L’essentiel : l’Algérie. Cette photo a été prise en Algérie, en 1983 ou 1984. Le reste, mon dieu, n’a pas résisté au temps. Il y avait un homme dans cette histoire, un homme qui l’avait invitée là-bas, un Kabyle. Ma mère est née à Alger en 1950. Sur la diapositive elle a trente-trois ou trente-quatre ans. C’est son seul voyage de retour au pays quitté dix-huit ans plus tôt. Entre temps la vie a filé. Il y a eu l’installation en France, les études de sténodactylo, un enfant, un mariage (onze ans), un divorce. Qui peut dire le souvenir de la première jeunesse quand la vie d’adulte semble tout recouvrir ?
Un jour ma mère a rencontré cet homme dont je ne sais presque rien : il venait de Kabylie et travaillait en France quelques mois par an pour une compagnie pétrolière. Il était ingénieur et là-bas, au pays, était marié, père de famille, lié. Je ne me souviens plus de son prénom. Juste la silhouette vague d’un homme qui portait, comme beaucoup en 1983 ou 1984, un blouson en cuir à la Belmondo. C’est cet homme qui, sans doute, a pris la photo (ou plutôt la diapo, mais pourquoi une diapo plutôt qu’une photo papier ?)
Question : où se trouvent les vingt-trois poses manquantes de la pellicule Kodachrome ?
J’entre sobrement un commentaire, car la sobriété des mots porte la justesse des sentiments évoqués.
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Que de tendresse au travers de ces lignes si délicatement écrites …
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Très beau texte, inhabituel pour son intimité.
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