Dans l’appartement neuf se trouvait une pièce à la vocation incertaine. Menant à la chambre et à la salle de bain elle était sans fenêtre et sa forme rectangulaire, sa quinzaine de mètres carrés en faisaient, plutôt qu’un couloir, une pièce à part entière, un espace à investir dans cet appartement dont nous étions les premiers locataires. Ici aucune trace de meubles sur les murs, aucune empreinte de table ou de fauteuil dans la moquette pour indiquer un usage ancien et en guider de nouveaux. Le jour de l’emménagement nous y avons entreposé nos cartons ; cartons contenant l’essentiel pour les premiers jours, vaisselle, draps, serviettes ; cartons à défaire, livres, bibelots, vêtements d’autres saisons. Et puis ces cartons sont restés là, par flemme, par manque de temps. Une odeur s’est installée dans la pièce aveugle. Une odeur remarquable par son intensité dans cet appartement si neuf que rien ne se fixait dans l’air. Une puissante odeur de carton humide, une odeur d’intervalle qui dure, une injonction à clore le provisoire chaque fois que nous traversions la pièce. Nous avons habité cet appartement au rez-de-chaussée une petite année. Les cartons sont restés là à sentir, par-dessus le neuf, l’entre-deux. Trente ans ont passé. Trente ans et combien de locataires, combien d’empreintes de meubles, combien d’usages à ces quinze mètres carrés ? Postons-nous sur le parking pour un temps indéfini. Lorsque les occupants actuels ouvriront la fenêtre nous devinerons, dans la pénombre, la pièce aveugle qu’occupaient nos cartons. L’espace demeure mais l’odeur de provisoire qu’il concentrait, à force de passages, se sera pour toujours dissipée.