Accoudé à la fenêtre de sa chambre, face à la nuit, Boris se demandait : à quel moment le contact s’est-il perdu ? À quel moment un peuplier, un hêtre sont-ils devenus des arbres, un cirrus un nuage, la pleine lune une lueur ? Dans cette chambre aux odeurs inchangées il s’allongea sur le lit grinçant. La lueur traçait un rectangle sur le lambris du mur. À quel moment le sol qui portait ses pas avait-il cessé d’être poudre, bitume, aiguilles, sable, boue, mousse ? À quel moment, une fois encore, tout s’était mis à déconner ? Maintenant que Paul était né c’était comme une remise à zéro. Boris s’imaginait mal jouer au père à plein-temps. Il lui fallait autre chose. Restait à savoir quoi.
Le lendemain matin il se rendit à Trézigné en voiture. Sur la route il croisa des cars de ramassage scolaire qui conduisaient les gamins au collège. Il but un café au tabac du marché. La place était vide. Le cabinet du médecin ouvrait à 9 heures. Le Dr Legrand le reconnut bien vite. Ce qui l’amenait ? Un gros coup de mou. Sans doute le contrecoup de la naissance du gosse. Les nuits sans sommeil, l’angoisse qui monte. Le docteur évoqua sa « dépression » dix ans plus tôt. « Dépression » ? Le mot sonna étrangement aux oreilles de Boris. Oui, oui. La même chose. La même tristesse, la même distance avec les choses et les gens, le même engourdissement. Le docteur lui prit la tension, le questionna sur son appétit. Il finit par remplir l’arrêt attendu. Quinze jours. On verrait à ce moment-là. Boris repartit avec une prescription de magnésium.