De nos jours personne ne porte mon nom dans l’Yonne.
En août 1990 un cousin généalogiste a écrit à mon grand-père. L’homme s’était lancé dans la constitution d’un arbre des Georgin. Les moyens disponibles à l’époque étant réduits, je l’imagine, volontaire et méthodique, se rendre au bureau de Poste pour, des annuaires du pays alignés, extraire les adresses de tous les Georgin de France.
Au moins deux lettres ont été échangées avec cet homme de Wissembourg. Un peu avant la disparition de mon grand-père – ces semaines terribles de l’automne de mes vingt ans où Pépé gisait, mourant et conscient, au septième étage de l’hôpital Beaujon – Mémé m’a donné la seconde lettre. Dans la dévastation qui régnait alors je ne saurais dire le jour, l’heure et l’intention de ce geste.
C’est de cette lettre amorçant et concluant une discussion que je n’ai pas eue, de son vivant, avec mon grand-père, que notre histoire (ou plutôt sa géographie) s’est dépliée.
Jusqu’à disparition de la trace écrite (ou, chemin inverse, avant que les choses et les gens ne soient recensés) tous les Georgin de ma lignée ont vécu dans le même village, Val-de-Mercy. 89580 Val-de-Mercy, et tous ont travaillé la vigne et le bois des tonneaux. Dix générations de vignerons et de tonneliers dans le même canton installés.
Une question m’est venue à l’esprit : à quelle distance de temps ne survit des défunts que la profession qu’ils exerçaient ? Ou bien : combien de temps après la mort le timbre de voix, le caractère, les cicatrices de chacun disparaissent du récit des origines ?
Novembre 2018. Rendons-nous cette Toussaint à Val-de-Mercy. Ils sont là, peu nombreux mais bien là, dans ces tombes que personne ne fleurit, les tonneliers et leurs femmes, les vignerons et leurs enfants : Joseph, Adélaïde, Louise, Clémentine, Pierre, Hippolyte, Emma, Théophile, François, Claude, Joséphine, Angélique, qu’en ce 1er novembre Val-de-Mercy avec son bureau de Poste ouvert quatre après-midis par semaine, son domaine viticole et son EHPAD spécialisé Alzheimer ne connaît plus.
Joseph, Adélaïde, Louise, Clémentine, Pierre, Hippolyte, Emma, Théophile, François, Claude, Angélique.
Il importe, ici comme ailleurs, de consigner leur nom.
Très beau texte sur le travail de la mémoire, l’importance du nom et de sa trace…
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