Il est né

Dans les bras de l’infirmière galloise son premier cri. On le pèse, on s’émerveille, on le lave, on le rince, on l’essuie. On le dépose sur le ventre de sa mère. On le prénomme. Ses yeux ont la rondeur des billes, leur brillant, leur pouvoir de reflet. On se rassemble autour de lui. Il se laisse porter, découvrant sa propre chair, résolu à l’abandon. Chacun y va de son compliment. On lui offre un ours bleu. Il réclame son lait à heures fixes, se rendort repu. Les visiteurs posent un index sur ses lèvres, entortillent sa mèche de cheveux roux, caressent son crâne tendre. L’infirmière galloise passe lui dire adieu. Elle est son premier regard, l’humanité toute entière – il pleure beaucoup, ce matin-là. On le transporte en Simca 1000 – les cahots sur les pavés le font rire. On l’installe dans une chambre seul. On le lange sur la table de la cuisine. Il boit son lait et le vomit à heures fixes. Il suit du regard les corps qui vont et viennent autour de lui – l’humanité se scinde en mille présences distinctes. Désormais il reconnaît les voix. Au réveil il cherche les mains de sa grand-mère, celles-là plus que toutes autres. Bientôt elles le consoleront des tiraillements dans les mâchoires, dans les jambes, dans son crâne enfiévré – cette grande poussée qui l’installe dans le monde des vivants par l’expérience de la douleur. Un matin tous ont disparu. Elle seule se penche sur son berceau. Elle semble inquiète face à ce mystère qui grandit, sourit, la réclame si souvent. Il tend les bras. Elle le recueille, une main pour soutenir son crâne, l’autre au creux des reins. L’amour même a ce poids-là, inestimable.

 

En écho :

https://www.tierslivre.net/ateliers/07-sous-la-carcasse/

 

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