« Tu as fait le tour du cadran ! » Boris se frotta les yeux. La lumière de cette matinée était aveuglante. Son père épluchait des patates et les plongeait dans une casserole d’eau froide. « Tu avais du sommeil à rattraper, on dirait ! » Boris remit la cafetière à chauffer. « Passe-le au micro-ondes, ça ira plus vite. » Boris ouvrit la huche à pain. « Ta mère est partie en prendre à la camionnette. Si tu attends dix minutes tu en auras du frais. » Il s’installa à table pendant que son bol de café tournait dans le micro-ondes. Il avait froid aux pieds et ses vêtements de la veille étaient sales. Chez lui il aurait pris le petit-déjeuner en slip – passé un certain âge on ne se présentait plus comme ça devant ses parents. « Ce midi rôti purée. Ça ira ? » À quel moment ses parents avaient-ils pris l’habitude de terminer leurs phrases par un « ça ira ? » Jamais de « ça va ? » mais ce « ça ira ? » qui devançait chaque pas. Le silence de Boris, la lente combustion qui menait à ses trente ans, cette précaution venait de là. Les parents démunis qui interprètent son silence comme de la haine, du dégoût, le rappel quotidien d’un échec qu’ils ne soupçonnaient pas – et Boris incapable de les détromper : ce n’est pas vous. Ce n’est pas ça. C’est ancien. Comme le prix à payer pour une vie antérieure foirée. Ces mots qui jamais ne furent prononcés. Depuis ils souhaitaient être prévenus. « J’ai dit à ta mère de prendre un grand campagne, qu’on en ait jusqu’à lundi. Ça ira ? » Le micro-ondes se mit à sonner. « Oui, Papa. Ça ira. » Boris trempa ses lèvres dans le café et ajouta une goutte de lait pour tempérer l’amertume du robusta.