« Est-ce que tu te souviens de ces trajets de nuit qu’on faisait, allongés tête bêche, sur la banquette arrière de la Fiat de tes parents ? On filait tout droit vers l’ouest en contournant les villes et le rouge des phares dansait au plafond. On faisait des pauses somnolentes dans le froid des trois heures du matin. On se frottait les yeux sous les néons des stations-service. Ton père fumait assis sur le capot brûlant. Ta mère buvait de la soupe à la tomate adossée au distributeur. Parfois il pleuvait. Parfois il neigeait. On filait vers l’ouest et c’était la nuit. Est-ce que tu t’en souviens ? Avant de s’endormir on jouait aux dames sur un plateau aimanté. À la radio la météo et Véronique Sanson. Aux péages on tuait les autres enfants et on envoyait des pièces dans la corbeille sans jamais la louper. À l’aube on s’engageait sur la nationale. On avait la bouche pâteuse et le rêve d’un lit accueillant. Ta mère montait le son pour rester éveillée. La météo et Eddy Mitchell. On s’engageait sur des routes de plus en plus étroites. Les noms devenaient familiers. Le soleil finissait par apparaître et voilà, on y était. Dix jours avec nos cirés et nos épuisettes, notre jeu de dames, notre filet et nos volants. On avait huit, on avait dix ans. Maintenant je te vois et tu fais la gueule. Tu as ton casque sur les oreilles et sur cette route qui mène à Freeham tu m’ignores et ça me fait mal. Est-ce que tu t’en rends compte, Martin ? » songea Simon en observant le profil de son ami, collé à la vitre du minibus tandis qu’à l’avant ça chantait en levant les bras et que passait de siège en siège une bouteille de mélange vodka-Red Bull.