Vue depuis le toit de la piscine, Neuville s’absentait à elle-même. De quelques cheminées sortaient la fumée de feux mal éteints. À l’ouest, les Bougainvillées et leurs grues immobilisées depuis deux mois. Au sud le centre ancien, son église St. Nicolas de brique rouge. À l’est les champs de betteraves et les lignes à haute-tension. Au nord la falaise de craie et sa chute magnifique vers le fleuve. L’ancienne cimenterie s’étalait en contrebas. Ses ruines jamais déblayées et désormais reconquises par la nature comblaient peu à peu le fleuve que les péniches ne remontaient plus. Neuville était le lieu d’un temps sans écoulement. On avait récemment entrepris la construction des Bougainvillées mais cet ajout excentré au tissu de la ville n’en modifiait ni la chaîne ni la trame établies vers 1900 lorsque les pavillons ouvriers avaient entouré les fermes du centre pour accueillir les familles embauchées par la cimenterie qui se développait. C’est dans ce monde que Simon avait toujours vécu. Le kebab avait remplacé la crèmerie, l’onglerie repris le local du fleuriste mais, pour l’essentiel, sa vie s’était déroulée dans cet inchangé de 1930 que son adolescence commençait à trouver mesquin et étouffant.