EXEUNT | Joséphine dernier domicile

Voici sur la table imaginaire les éléments récemment collectés. Un faire-part publié dans l’Écho d’Alger le 9 août 1929. Une adresse précise : 19 impasse Malakoff. Un domicile : Hôtel du Bosphore. Une troupe d’inconnus qui accompagnent les proches : Mattéi, Azzuro, Serfati, Perez, Ivanès et di Pizzo – tous ces noms inconnus et cette musique de l’Algérie d’alors qu’ils composent.

Il n’existe pas de plan fiable d’Alger. Celui d’aujourd’hui Google le déploie avec précision sur les restaurants du coin, les arrêts d’autobus, les commerces de ceci ou de cela – toutes informations inutiles puisque le plan auquel je m’attache est un calque impossible à fixer sur la carte du présent.

« Je te fais quoi à manger samedi ? Des frites ? » me demande ma grand-mère au téléphone. Des frites, oui, Mamie, et tu ne sauras jamais combien ces pommes de terre découpées de tes mains et que tu jettes dans l’huile alors que je m’attable en craignant pour l’odeur sur ma chemise, comptent. Elles comptent en 2022 comme si peu de choses comptent encore maintenant que le temps a écarté le superflu.

Monsieur Moynier et son fils Antoine ont la douleur de vous faire part de la perte cruelle qu’ils viennent d’éprouver. Joséphine Ascensi naît le 30 août 1877 à Alger. Elle meurt dans la même ville cinquante-deux ans plus tard.

« Elle est morte du diabète. C’est tout ce que je sais » me dit ma grand-mère en recueillant les frites dorées dans une écumoire. Morte du diabète, à 52 ans, il y a bientôt cent ans, sa belle-mère qu’elle n’aura pas connue. Mon arrière-grand-mère. Joséphine Moynier née Ascensi.

Plus tard, en buvant le café, nous reprenons le faire-part. Non, décidément, ces noms ne lui disent rien. Si, Mattéi, peut-être, Dominique Mattéi, un vieux Corse croisé dans les années 1950, vingt-cinq ans après le décès de Joséphine. Azzuro, Serfati, Perez, Ivanès et di Pizzo avaient entretemps disparu des familiers. 

Au moment où je m’apprête à partir ma grand-mère se souvient d’une chose : « C’est pour elle que le caveau a été construit. C’est ça. C’est elle la première à y avoir été enterrée. »

De nos jours, passage à Saint-Eugène, cité des morts dans la ville indifférente. Le cimetière s’étale à flanc de colline jusqu’à la basilique. Les premières allées ne sont pas encore conquises par l’enfrichement. L’employé pose le registre cadastral sur le comptoir de l’accueil. Les dernières pages sont vierges. Il pointe l’allée, l’emplacement exact – dernier domicile sur cette terre.

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