Désir trahir maudire désir souffrir mourir

C’est étrange comme un texte écrit il y a des années peut rester embusqué, solitaire, attendant son heure. Celui-ci je ne l’ai jamais perdu de vue. Il appartient à un projet qui n’a pas encore trouvé sa place et qui attend, tout à fait patient, que l’opportunité se présente d’enfin voir le jour. Il s’agirait (mais je ne suis pas tout à fait certain de ses contours) d’une exploration des recoins français, de la trace des activités qui s’y déroulaient et des vies qui s’y attachent, des années 1980 à nos jours. En voici un aperçu, grâce à François Bon qui nous a proposé de parcourir l’Atlas des Régions Naturelles d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier, en quête d’un élément déclencheur, d’un écho.

Arfeuilles (Allier) Printemps 2020 – Source: Atlas des Régions Naturelles

L’hôtel vivait des soldes des conscrits de la caserne d’en face. Elle a été mise en vente par l’Armée en 2012 et personne ne s’est jusqu’à présent porté acquéreur. Le bar a une longue salle carrelée de blanc et des distributeurs de cacahuètes au comptoir. Ses murs sont couverts de fanions, de coupes en métal, de photos de soldats retour de manœuvres. Certains soirs, juste après la fermeture, le patron passe et repasse devant les photos accrochées. Des visages oubliés se rappellent à lui : ce Breton au tarin pas possible qui dansait sur les tables ; ce Basque court sur pattes qui, chaque janvier pendant quinze ou vingt ans, envoya une carte de vœux sans jamais dire combien d’enfants, combien de joies et de peines lui donnait la vie civile. Et celui-là…et celui-là…combien de générations, combien de quilles trop arrosées ? Tout au bout du bar se trouvent les toilettes. Sur la porte de gauche une silhouette d’homme en haut de forme. Quatre urinoirs en forme d’œuf évidé et deux cabines. Ça sent le détergent pamplemousse. Dans les toilettes turques, à hauteur d’homme accroupi, on lit encore, gravé ou tracé au marqueur, 31.12.79 JOËL CHIE. VIVE LA SS. PINK FLOYD. SALOPE T’ATEND TOUT LES JOURS MIDI (100F POUR TOUT). MITTERAND PD. À l’arrière du bar, dans la cour où se garent les livreurs, se trouve la salle de réception. Les tables dressées avec nappes blanches et serviettes en accordéon attendent les communiants qui ne se présentent plus. Derrière ses voilages plissés on devine l’estrade pour les discours, les spots sur trépied, la table ronde pour les pièces montées. Les choses désespèrent et s’empoussièrent, leur patron avec, espérant une vente qui ne se fait pas, dans la crainte du jour de trop, celui où on le trouvera mort devant ce juke-box en mode automatique qui toutes les heures se réveille pour chanter Désir, trahir, maudire, rougir, désir, souffrir, mourir, pourquoi ? avant de se rendormir faute de braillards.

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